samedi 16 novembre 2013

Lettre intemporelle




Ma chère Carlotta,

Me voilà hélas ! bien loin de ce grand Paris où j'ai beaucoup de peine à me réinstaller. Plus de Salève ni de Jura, le matin devant mes yeux, rien que la brume enveloppe au fond du jardin, les grêles peupliers. Je me consolerais bien vite de ne plus voir les montagnes avec leurs couronnes de neige si vous étiez là. Votre présence dissiperait le brouillard et ferait briller le soleil du printemps à travers cette bruine qui éteint le jour. Quelque effort que je fasse, je me sens envahir par une invincible mélancolie. Il pleut dans mon âme comme dans la rue. J'avais pris une si douce habitude de vivre près de vous qu'il me semblait que ça ne devait jamais finir. Mon départ, tant de fois différé après un séjour plus long que je n'aurais osé l'espérer, m'a surpris comme une catastrophe inattendue. Je ne pouvais y croire et quand les roues du wagon ont commencé à tourner, elles m'ont fait le même mal que si elles me passaient sur le coeur.

Voilà déjà six jours que je ne vous ai vue, six grands jours éternels, et qu'est-ce que six jours à côté des mois qui vont s'écouler, oh! combien lentement, avant que je puisse vous revoir ! Je me suis déjà ennuyé pour une année au moins. Mon âme est restée à St-Jean près de vous, et je ne sais que faire de mon corps. (...)

N'est-ce pas, cher ange, que vous ne m'oublierez pas, que vous me garderez la petite place que vous m'avez faite dans votre coeur et que vous ne m'ôterez pas l'espérance qui me soutient et me fait vivre ? Je suis plein de doute et de trouble ; malgré vos douces paroles et marques de votre tendresse, je n'ose croire que j'aie fait quelques progrès dans votre attention. Les difficultés de nos rares et courtes entrevues, presque toujours dérangées par des gêneurs (ce mot de la charade que vous ne compreniez pas), la froideur apparente dont vous vous armiez pour détourner le soupçon d'un amour trop transparent de mon côté, ont ôté aux dernières semaines de mon séjour la charmante intimité des premiers mois. La journée qui , disiez-vous en souriant, n'était pas finie, lorsque je réclamais un baiser, quelquefois ne commençait pas, vers la fin. Il me semblait à de certains moments que vous ne m'aimiez plus ou que vous m'aimiez moins.

Pourtant le matin du départ, dans le petit salon, lorsque je vous faisais d'une main tremblante les petits dessins que vous m'aviez demandés, j'ai cru voir vos yeux fixés sur moi se troubler et devenir humides. Cela vous faisait donc un peu de chagrin de voir celui qui vous aime tant s'éloigner pour bien longtemps peut-être ? Pour moi, j'étais navré, mais au milieu de tout ce monde, je n'ai pas pu exprimer ma douleur profonde. Oh ! pourquoi n'ai-je pas eu une demi-heure à moi pour vous serrer contre mon coeur, pleurer dans votre sein, et laisser mon âme entre vos douces lèvres, avec un long et suprême baiser ? 

Sempre vostrissimo

Théophile GAUTIER (lettre de Théophile Gautier à Carlotta GRISI, sa belle soeur...) 

vendredi 1 novembre 2013

"Premier combat"

"Premier combat" de Jean MOULIN, préfacé par le Général De GAULLE.

Publication du carnet de bord de Jean MOULIN qui ouvre le 17 juin 1940 le grand libre de la Résistance. Il s'achève malheureusement le 14 novembre 1940, on aurait aimé que cela continue mais , bien sûr, à l'époque il ne fallait pas laisser de traces...

C'est sa soeur, Laure, qui décida de faire publier ces quelques pages du récit de l'entrée des nazis sur Dreux et Chartres alors que son frère est en poste comme Préfet d'Eure-et Loir.

Emouvant et factuel, ce livre ne fait jamais dans la complaisance ni le miserabilis. 

"Quel fut le calvaire de Max en 1943, dans les antres de la Gestapo, le saura-t-on jamais, alors que, portant en lui tous les secrets de la Résistance, fidèle à l'amitié, fanatique de l'honneur, il endura, dans sa chair et son âme saignantes, des heures, des jours et des nuits, une éternité de souffrance faisant front contre l'ennemi jusqu'à l'agonie, jusqu'à la mort ! 

Toi qui, même au milieu de ta course, respirais la jeunesse et la vie, toi qui fus le plus jeune Préfet de France, toi qui étais la fierté de ton père et le sourire de ta mère, toi qui joignais la gentillesse à la force d'âme et qui réalisais cette gageure d'être un artiste né et un homme d'action, d'aimer passionnément la vie et de ne pas craindre la mort, puisse ton sacrifice n'avoir pas été vain ! Que ce pays de liberté et de justice sache qu'il est urgent que le sens du devoir civique l'emporte sur l'esprit de parti et que les Français entendent la voix de Jean MOULIN leur crier encore : "Messieurs, il y a la France ! " Introduction de Laure MOULIN