vendredi 27 mars 2020

"Né sous une bonne étoile" d'Aurélie Valognes


On a tous eu dans notre scolarité quelqu'un qui nous marqué...
Qu'on soit bon élève ou pas, en tout cas quelqu'un qui, à l'instar de John Keating dans "Le Cercle des poètes disparus", nous a montré une voie différente, qui nous a encouragés parfois à refuser l'ordre établi ou du moins qui nous a permis de nous révéler. Enfin, j'espère ! Finalement en écrivant ces lignes, je me rends compte que non, on n'a peut-être pas tous eu cette chance...

Je fais partie de ces privilégiées qui ont croisé la route d'une de ces personnes à différents moments de ma scolarité : Mme Fuschs, Mme Godard, Mme Dussaucy, Mme Dorison à Dreux M. Citi, M. Leuwers à Tours... Qu'ils en soient remerciés publiquement aujourd'hui. Ils n'ont peut-être pas été aussi spectaculaires que Keating mais leur bienveillance m'a permis d'avancer et d'être aussi qui je suis aujourd'hui.
J'essaie, à mon tour, avec mes élèves, d'être cette personne qui les éveillera voire les révèlera et surtout pas celle qui les diminuera et les dégoûtera à jamais de l'école comme certains profs de ce livre et de la vraie vie.

C'est l'histoire de Gustave, il est en primaire et a beaucoup de difficultés. C'est d'autant plus difficile pour lui que sa grande soeur est brillante et qu'il passe.. après.
Bien sûr, à force d'être perçu et traité comme un mauvais élève, Gustave perd le peu de confiance qu'il avait en lui et finit pas s'en convaincre qu'il est un cancre.

Un livre à conseiller à tous les dys, comme on les appelle : dyslexiques, dyspraxiques... Une lueur d'espoir ! Il existe des Mme Bergamote !!

J'ai un peu moins aimé qu' "Au petit bonheur la chance!" mais je suis certaine qu'il va parler à bon nombre d'entre vous.

De jolies phrases qui résonnent :

"Aujourd'hui, elle préférait revêtir l'uniforme "jean sweat baskets" pour avoir la paix.

"Ce n'est pas normal d'aller à l'école avec la boule au ventre, de faire semblant d'être plus bête que l'on est, juste pour ne pas froisser la médiocrité et le manque d'intelligence certains."

"Quel que soit votre rêve, visez plus haut !"

"Cela faisait plus de 10 ans qu'elle enseignait et pour la première fois elle remarquait que dans "enseigne", il y avait "saigne".  Est-ce fait exprès ?"

"Il était de ces instituteurs chez qui la promesse d'un déodorant 48h paraissait un minimum."

"Je t'aime bien. Tant pis pour toi !"

"Les légumes cramés au fond de la cocotte, c'était le goût des plats concoctés avec amour."

"L'enfance c'est faire des bêtises. Écrire, c'est continuer à en faire."










dimanche 22 mars 2020

"La Panthère des neiges" de Sylvain Tesson



Une grande respiration loin de ce qu'on vit en ces moments anxiogènes. La quête du Graal animal, la quête de La Panthère des neiges qu'on annonçait disparue. Le retour à la nature, la vraie, à l'introspection.

On a l'oeil et l'expérience de Vincent Munier dont je suivais déjà le travail photographique et la poésie de Sylvain Tesson qui m'avait déjà bien fait vibrer "Dans les forêts de Sibérie". Magique !

Quelques passages délicieux ou terrassants : 

"Ce pays est un Éden. Climatisé."

"Soudain un âne sauvage. L'animal s'arrêta, aux aguets. Munier collait son oeil dans le viseur. Cette gymnastique s'apparentait à la chasse. Ni Munier ni moi n'avons l'âme tueuse. Pourquoi détruire une bête plus puissante et mieux adaptée que toi ? Le chasseur fait coup double. Il détruit un être et tue en lui-même le dépit de n'être point aussi viril que le loup ou aussi découplé que l'antilope. Pan ! Le coup part. "Enfin !", dit la femme du chasseur.
Il faut le comprendre le pauvre, il est injuste d'être bedonnant quand vaque autour de soi un peuple tendu comme l'arc. "

""J'ai beaucoup circulé, j'ai été regardé et je n'en savais rien" : c'était mon nouveau psaume et je le marmonne à la mode tibétaine, en bourdonnant. Il résumait ma vie. Désormais je saurai que nous déambulions parmi des yeux ouverts dans des visages invisibles. Je m'acquittais de mon ancienne indifférence par le double exercice de l'attention et de la patience. Appelons cela l'amour. "

"Le pelage des antilopes égayait l'aridité des taches joyeuses. Blanche et grisée, plus douce qu'un cachemire, leur toison les a condamnées. Les braconniers vendaient les peaux à l'industrie textile, business planétaire. L'espèce était menacée de disparition malgré les programmes de protection gouvernementaux. La lumière auréolait les encolures, je ne chassais pas cette idée : l'une des traces du passage de l'homme sur la Terre aura été sa capacité à faire place nette. L'être humain avait résolu la question philosophique de sa nature propre : il était un nettoyeur."

""... La fourrure de ces êtres laçant et délaçant leurs courses fraternelles est destinée à finir sur les épaules d'êtres humains dont les capacités physiques sont notoirement moindres. En d'autres termes, Lucette, incapable de courir cent mètres, ne rougira jamais de porter un cache-nez en chirou."

"Marie rangea la caméra :
-Ils se battent, ils vont aux filles : la vieille histoire."

"Avant de baisser les fermetures éclair des tentes, Munier nous lança sa recommandation :
-Ne mettez pas de boules Quies, les loups vont peut-être chanter.
C'est pour entendre des phrases pareilles que je partais en voyage. Puis la Lune se leva et ne put rien pour nous, il fait -30°C sous la toile. Les rêves gelaient."

"Loups ! Ne restez pas en France, ce pays a trop de goût pour l'administration des troupeaux. Un peuple qui aime les majorettes et les banquets ne peut pas supporter qu'un chef de la nuit vaque en liberté.
Déjà les fermiers rentraient dans leur ferme distribuant des coups de pied aux mastiffs. Sur Terre, la gazelle fonce, le loup rôde, le yack roule, le vautour médite, l'antilope dégage, le pika prend la soleil et le chien paie pour tout le monde."

"Munier et Marie s'aimaient. En silence, sans transports. Lui, grand et sculptural, possédait les clefs de la lecture du monde et respectait le mystère de cette fille élastique qui ne se livrait pas. Elle, somptueuse, caoutchouteuse, mutique, admirait l'homme qui savait des secrets mais ne perçait pas les siens. C'étaient deux jeunes dieux grecs dans de beaux animaux supérieurs."

"Mon camarade ne vouait pas son amour à l'idée abstraite de l'homme mais à des récipiendaires réels  : ici, les bêtes et Marie. La chair, les os, les poils, la peau : avant les sentiments, il lui fallait quelque chose sous la main."

"L'homme s'était autoproclamé chef du politburo du vivant, s'était propulsé au sommet de l'échelle et avait imaginé une flopée de dogmes pour légitimer sa domination. Tous défendaient la même cause : lui-même. "L'homme est la gueule de bois de Dieu." disais-je. Elle n'aimait pas ces formules. Elle m'accusait de lancer des pétards inutiles."

"Il restait 5 000 panthères dans le monde. Statistiquement, on comptait davantage d'êtres humains vêtus de manteaux de fourrure."

"Je la croyais camouflée dans le paysage, c'était le passage qui s'annulait à son apparition."

"Elle baillait.
Voilà l'effet de l'homme sur la panthère du Tibet. 
Elle nous tourna le dos, s'étira, disparut.
Je rendis la lunette à Munier. C'était le plus beau jour de ma vie depuis que j'étais mort."

"-L'année dernière, raconta Minier, je désespérais de voir la panthère. J'étais en train de replier mon affût quand un grand corbeau donna l'alerte sur la crête. Je restai pour l'observer, et soudain, la panthère apparut. Le corbeau me l'avait signalée.
-Par quel étrange mouvement de l'âme en arrive-t-on à tirer dans la tête d'un être pareil? dit Marie.
-"L'amour de la nature" est l'argument des chasseurs, dit Munier.
-Faut-il laisser les chasseurs entrer au musée, dis-je.
Par amour de l'art ils lacèreraient un Vélasquez. Mais par amour d'eux-mêmes, étrangement, ils sont peu nombreux à se tirer une balle dans la bouche."

"Rencontrer un animal est une jouvence. L'oeil capte un scintillement. La bête est une clef, elle ouvre une porte. Derrière, l'incommunicable."

"L'intensité avec laquelle on se force à jouir des choses est une prière adressée aux absents. Ils auraient aimé être là. C'est pour eux que nous regardons la panthère. Cette bête, sage fugace, était le totem des êtres disparus. Ma mère emportée, la fille en allée : chaque apparition les avait ramenées."

"La complicité d'un homme avec le monde animal rend supportable le séjour dans les cimetières urbains."

"Regardez la Lune !"
Elle était pleine. "C'est le dernier monde sauvage à portée de regard."









mercredi 4 mars 2020

"Et toujours les forêts" de Sandrine Collette


Les forêts ! Thème du moment s'il en est... J'ai quitté à regrets "La panthère des neiges" de Sylvain Tesson pour vite commencer "Et toujours les forêts" de Sandrine Collette. En effet, elle nous a fait l'honneur de sa visite dans notre jolie librairie du Centre Ville de Dreux : La Rose des Vents, pour un entretien public suivi d'une séance de dédicaces. Je me devais de lire ou du moins de commencer son dernier roman que j'ai terminé depuis !

La question c'est : comment une personne qui a l'air si affable, sympathique et j'ai envie de dire "normal" peut écrire de telles histoires ? Ceux qui ont lu "La dernière vague", "Il reste la poussière"... me comprennent ! Des drames, de l'horreur quotidienne poussée à son paroxysme, des histoires qui nous marquent à jamais. 

"Et toujours les forêts" est un roman post-apocalyptique un peu à la façon de "La route" de Cormac McCarthy. L'histoire commence avec l'arrivée du personnage principal, Corentin que sa mère ne veut pas mettre au monde et s'échine à "faire passer. Le pauvre ! Sa vie commence très mal mais bien que bringuebalé de familles d'accueil en amies de sa mère, il finit presque par avoir une vie "normale" auprès d'une vieille dame, Augustine, au coeur de la forêt et même aller faire ses études à la grande ville. 
Quand soudain la catastrophe arrive et le monde que l'on connaît n'est plus... Je n'en dis pas plus car je déteste que l'on déflore les histoires. 

Un roman noir sur la résilience, l'écologie, l'environnement, la relation homme-chien; les relations humaines au sens très large, l'enfance. 
Un roman intense qui fait parfois battre le coeur beaucoup plus vite et qui, une fois de plus, nous laisse pantois presque hagards. 



Quelques passages... 

"Il savait que c'était à cause de lui, tout ça. C'était son lot, le malheur. sa mère le disait en se penchant sur lui. 
J'ai jamais eu que la poisse avec toi."

"Lui, il pleurait parce que sa mère était revenue. Pendant longtemps pourtant, il en avait rêvé. Les rêves, c'est rien que des mensonges."

"Ils plantèrent des capucines là où ils avaient enterré le chat."

"Chaque semaine, à la télévision, il entendait les mots : réchauffement climatique, deux degrés, trois degrés, danger. Cela ne signifiait rien pour lui. Chaud et sec. Les vieux d'ici parlaient de l'été 1976, ils en avaient connu d'autres. C'était la nature, voilà. des choses avaient changé, bien sûr : l'été précédent, il y avait eu de mantes religieuses dans les jardins. On n'en avait jamais vu, d'ordinaire elles vivaient quatre cents kilomètres plus au Sud. Elles étaient remontées, c'était un signe. Mais les choses changeaient toujours ; c'était cela aussi, la vie. "

"Les hommes étaient intrinsèquement des meurtriers. Ils puaient la mort. Aussi stupides que les cellules cancéreuses détruisant les corps qui les abritent, jusqu'à claquer avec eux. Tuer et être tués. Insensés."

"À présent, il était en charge des autres-de tous les autres. Il n'y aurait plus personne avec qui partager, plus personne pour prendre une partie du fardeau. Plus de conseils, plus de vieille main sur son épaule pour dire qu'il devait aller de l'avant, qu'il devait cesser de réfléchir. Juste de toutes petites mains minuscules et maladroites, qu'il devait tenir jusqu'à ce qu'elle aillent seules, et qu'elles s'agitent pour dire au revoir, puisque les enfants partent toujours- Mais Augustine l'avait dit, il fallait arrêter de tourner en rond, arrêter de penser, c'était comme les regrets, cela ne servait à rien. Mais c'était si difficile. "

"Jamais il ne leur expliqua que l'ennui était un flamboiement, car jamais les enfants ne s'ennuyèrent. Ils avaient perçu l'exhalation de l'imagination, la capacité de faire un monde qui n'existait que dans leur tête, mais auquel leur tête donnait vie cependant."

"Personne ne savait pourquoi ceux-là allaient tuer. Leurs cerveaux étaient devenus fous, seule la mort existait dans leurs veines. "

"Il comprenait ces gens que des ouragans ou des raz-de-marée menacent, et qui refusent de partir."