dimanche 26 avril 2020

"Miroir de nos peines " de Pierre Lemaitre


"Miroir de nos peines" est le dernier opus de la trilogie "Les enfants du désastre". Ce dernier roman, comme les deux autres, on le lâche avec peine. Il se passe pendant l'exode du début de la seconde guerre mondiale.
Il s'ouvre, comme les deux autres sur un drame qui va entraîner inéluctablement la rencontre de chacun des personnages. On le sait maintenant, c'est comme ça qu'il procède Lemaitre. Alors, on échafaude, on imagine quels pourraient être les liens qui vont se tisser entre ces héros du quotidien qui n'ont rien a priori en commun ?
Un seul regret : c'est le dernier d'un trilogie. On ne retrouvera plus ces histoires de personnages attachants perdus dans l'histoire de France. 

Quelques passages retenus : 

"Alors, jeune homme, comment voyez-vous votre travail dans ce service ?
-A, E, I, O, U" avait répondu Désiré.
Le sous-directeur, qui connaissait son alphabet, se contenta d'un regard interrogatif. Désiré reprit :
"Analyser, Enregistrer, Influencer, Observer, Utiliser. Dans l'ordre chronologique : j'Observe, j'Enregistre, j'Analyse, et j'Utilise pour Influencer. Influencer le moral des Français. Pour qu'il soit au plus haut."

"L'hospice des enfants assistés était situé au, 100 rue d'Enfer, on se demande parfois où l'administration a la tête."

"Le crépuscule qui en faisait souvent trop, donnait à cet instant une gravité poignante."

"Ce n'était pas un non catégorique, ça ressemblait plutôt à un oui conditionnel."

"Louise soupira, il était comme ça, bourru au-delà du raisonnable, rien à faire, ça n'était pas une guerre mondiale qui le ferait changer. "

"C'étaient les grosses larmes d'un gros homme au coeur lourd."

"J'étais un gros tu comprends. C'est très spécial, les gros. On adore se confier à eux, mais c'est jamais d'eux qu'on tombe amoureux."

"Quitte à me damner, autant que ce soit dans vos bras."

"En attendant de mourir pour la patrie, il s'emmerdait."

"La pente de la confidence n'était pas naturelle à Raoul et évoquer ce courrier, c'était parler de son contenu. Il n'aimait pas cela. Il y a des enfants que les coups, les sévices, les malheurs rendent peureux puis lâches. Ils avaient, à l'inverse, renforcé le caractère de Raoul, faisant de lui un être résistant jusqu'à la provocation et barricadé entre les atermoiements et les épanchements. Mais cette lettre, comme tombée du ciel, avait créé en lui une sorte de précipité chimique qui le remuait jusqu'à l'âme, l'effet de ce mystère l'agitait, des révélations l'attendaient quelque part sur sa mère, sa véritable mère, et c'était quelque chose à quoi il n'était pas préparé. N'avoir pas de mère, on s'y fait, surtout quand on en a une de substitution que l'on peut haïr. Mais il s'était toujours défendu de penser à l'autre, la vraie, celle qui l'avait... selon les périodes, selon les âges, il disait "abandonné" ou "perdu" ou "protégé" ou "vendu", les versions étaient nombreuses. "

"La misère est une institutrice infaillible."

"Il appert (si on n'utilise pas ce genre de verbe à la fin d'un roman, quand le fera-t-on?) des rares études universitaires qui se sont intéressées à lui, que la période 1940-1945 est (je cite) "le seul îlot de certitude" que l'on puisse avoir à son sujet."




dimanche 19 avril 2020

Petit déjeuner fleuri

365 jours d'inspiration : Le petit déjeuner fleuri.



"Couleurs de l'incendie" par Pierre Lemaitre


Jubilatoire !

Un roman écrit à la Dumas façon "Le Comte de Monte-Cristo". Pierre Lemaitre signe là le deuxième volet "Des Enfants du désastre". Cependant, on peut tout à fait lire "Couleurs de l'incendie" sans avoir lu "Au revoir là-haut" même si c'est dommage de se passer de ce roman incomparable. (magistralement réalisé par Albert Dupontel au cinéma.)

Bref, Madeleine est devenue malgré elle héritière de l'empire financier des Péricourt. A la suite d'un événement cruel et complètement inattendu, elle se retrouve ruinée. A partir de là, elle n'aura de cesse de se venger de ceux qui l'ont spoliée, abusée, prise pour une idiote. L'histoire se passe au moment de la crise de 29 et sur les fondations de la seconde guerre mondiale. 
Vite ! Le troisième volet  !

Quelques phrases que j'ai aimées, souvent drôles parfois grinçantes juste belles comme il y en a tant chez Lemaitre : 

"Il pressa Madeleine un instant contre lui, sans un mot, les grands chagrins sont muets."

"On commencerait à maudire le mort s'il tardait encore à sortir."

"On avait hâte que les choses reprennent leur cours normal d'obsèques officielles, c'est à dire anecdotiques."

"Il pensait qu'Hortense n'aimait pas assez les hommes pour faire des garçons. Il avait deux filles montées en graines, aux jambes maigres, aux genoux cagneux et à l'acné épanouie, qui pouffaient de rire en permanence, ce qui les contraignait à masquer avec la main la denture épouvantable qui faisait le désespoir de leurs parents ; on aurait dit qu'à la naissance un dieu démoralisé avait balancé à chacune une poignée de dents dans la bouche, les dentistes étaient consternés ; sauf à tout éradiquer et à leur poser un râtelier dès la fin de leur croissance, elles étaient promises à vivre derrière un éventail toute leur vie."

"Il n'avait strictement aucune qualité politique, sa mission consistait uniquement à complaire aux électeurs. Davantage par intuition que par réflexion, il avait choisi un domaine extrêmement populaire, susceptible de rassembler très au-delà de son camp, de satisfaire les riches comme les pauvres, les conservateurs comme les libéraux : la lutte contre l'impôt."

"On peut faire souffrir quelqu'un qu'on aime, mais quelqu'un qu'on n'aime pas... non ! C'est bas."

"Un enfant, disait-il, est un bloc de pierre dont l'enseignai est le sculpteur."

"Cette femme brève de seins, de fesses et d'esprit considérait Charles comme un être prodigieux."

"Ce jeune homme disposait (...) des deux qualités indispensables au métier de journaliste : être capable de discourir sur un sujet auquel on ne connaît rien et décrire un événement auquel on n'a pas assisté."

"Il arrive que des hommes aux idées courtes deviennent grands quand les circonstances s'y prêtent."

"Elle se concentrait des heures sur des détails secondaires, sur le Titanic, elle aurait commencé à repeindre les transats.

"Faire fortune avait été épuisant mais rien n'était aussi épuisant que de faire faillite."



samedi 11 avril 2020

"La Part des flammes" de Gaëlle Nohant et "D'un Gisant l'autre" de Valérie Montalbetti-Kervella



Un fabuleux roman qui allie à la perfection le réel et l'imaginaire à cette époque que j'apprécie beaucoup le XIXe siècle.
A l'instar de Bernard Prou et de son "Alexis Vassilkov ou la vie tumultueuse de la vie du fils de Maupassant", Gaëlle Nohant nous plonge dans ce Paris de mai 1897 au moment du tristement célèbre incendie du Bazar de la Charité et nous permet de côtoyer des personnages aussi bien réels que fictifs. Mais rien ne nous permet de faire la part des choses. On ressort ainsi de notre lecture, avides de savoirs. Est-ce vrai ? Qu'est ce qui l'est ? Qu'est qui ne l'est pas ? On aimerait tellement croire à certaines vérités romanesques ! Et puis tous ces événement se passent en même temps que ce fléau du moment : la tuberculose. Ce n'est pas sans nous interpeler sur ce que nous vivons en ce moment : le covid 19.

Depuis petite, comme beaucoup d'entre nous du reste, j'ai admiré Sissi : cette princesse de Bavière au coeur simple et tendre. Alors forcément, quand à Dreux on a le gisant (que dis-je ? Les gisants !) de sa soeur Sophie, Duchesse d'Alençon qui a péri lors du l'incendie du Bazar de la Charité. On a envie d'en savoir davantage !
Quand en plus de cela, une amie s'intéresse d'un point de vue artistique aux dits gisants de la Duchesse et en fait un livre alors on est comble : "D'un Gisant l'autre" de Valérie Montalbetti-Kervella

Quelques belles phrases : 

"Sa bouche s'était imperceptiblement tendue comme pour accueillir un baiser, et il eut envie de lui donner ce baiser, d'entrer dans cette douceur, d'être l'inconsolable qui consolerait cette femme."

"J'y ai passé des heures inoubliables. Je n'y suis jamais retournée de peur d'abimer mes souvenirs."

"Son regard l'avait fait fondre comme les rayons d'une aube incendiée réveillent la forêt sous le givre."

"S'il était un bonheur possible sur cette terre, on ne pouvait y accéder qu'en laissant mourir certaines choses en soi."

"Elle en était venue à aimer sa souffrance physique parce qu'elle accaparait par moment toute l'attention de son cerveau, la délivrant d'un mal plus souterrain."

"Et Paris était cette ville bouillante et mortifère ou plus de deux millions d'êtres espéraient ne pas se réveiller un matin en toussant."

"Elle avait des morceaux brisés dans le coeur, les secouer était douloureux."

"Son mariage relevait donc d'une erreur d'aiguillage, il n'en avait été que le passager attendant de descendre en gare."

"Derrière l'appât charmant, il y avait tout le reste, le piège soyeux, la tyrannie de velours, et surtout, SURTOUT, l'ennui le plus profond."

"Il la fixa calmement, et leurs solitudes s'effleurèrent et se reconnurent."

"Le Paris des quartiers chics, celui qui s'amusait, dansait et aimait être effrayé et choqué et dont le principal souci était de tuer l'ennui, avait pris le deuil."