mercredi 13 novembre 2019

"Soif" d'Amélie Nothomb


Le paradoxe "aime ton prochain comme toi-même", être omniscient et se laisser crucifier a toujours été sujet de questionnement pour Amélie Nothomb depuis qu'elle est toute petite. 
"Soif" est le sujet de ce questionnement en faisant parler Jésus depuis le moment de son jugement par Ponce Pilate jusqu'à sa résurrection.

Toujours impertinente mais jamais irrespectueuse, Amélie Nothomb nous fait entrer dans la tête d'un Jésus très humain et incarné, pas juste un esprit mais aussi un corps. 

"Pour éprouver de la soif, il faut être vivant. On n'apprend des vérités si fortes qu'en ayant soif, qu'en éprouvant l'amour et en mourant."

Il ne faut pas forcément être croyant pour lire ce 28e roman. Elle se désigne elle-même comme "croyante instransitive". J'ai dévoré ce livre ! J'ai lu et admiré ce Jésus éloigné du dogme, du cathéchisme et proche de l'idée qu'on se fait de l'incarnation que l'on a de lui quand on est enfant. 

Quelques moments forts : 

"Par exemple, il ne parvenait pas à différencier le mensonge du secret."

"Mon Père a créé une drôle d'espèce : soit des salauds qui ont des opinions, soit des âmes généreuses qui ne pensent pas."

"C'est à cela que l'on sait si l'on est amoureux : à ce que l'on ne choisit pas. Les êtres qui ont un ego trop gros ne tombent pas amoureux parce qu'ils ne supportent pas de ne pas choisir. Ils s'éprennent d'une personne qu'ils ont sélectionnée : ce n'est pas de l'amour."

"Et puis tu m'as regardé et cela a empiré : je ne savais pas qu'on pouvait regarder comme cela. Quand tu me regardes, j'ai du mal à respirer."

"L'amour concentre la certitude et le doute : on est sûr d'être aimé autant qu'on en doute, non pas tour à tour, mais en une simultanéité déconcertante. Chercher à se débarrasser de ce versant dubitatif en posant mille questions à l'aimée, c'est nier la nature radicalement ambiguë de l'amour.""

"On dit que l'amour aveugle. J'ai constaté le contraire. L'amour universel est un acte de générosité qui suppose une lucidité douloureuse. Quant à l'état amoureux, il ouvre les yeux sur des splendeurs invisibles à l'oeil nu."

"Grâce à elle j'ai su que dormir était un acte d'amour. Quand nous dormions ainsi, nos âmes se mêlaient davantage encore qu'en faisant l'amour. C'était une longue disparition qui nous emportait ensemble."

"Tentez cette expérience : après avoir durablement crevé de soif, ne buvez pas le gobelet d'eau d'un trait. Prenez une seule gorgée, garez-la en bouche avant de l'avaler. Mesurez cet émerveillement. Cet éblouissement, c'est Dieu."

"Il y a des verbes que je fuis, comme préférer ou remplacer. On n'imagine pas combien ces verbes s'équivalent. J'ai vu des gens se battre pour être des préférés sans se rendre compte que ça les rendait remplaçables."

"Il s'est passé du temps avant que je me retrouve dans l'eau. J'ai adoré cette exaltation. Il faut que j'obtienne ce vide dans ma tête. Créer du rien là où sévit le vacarme. Ce qu'on appelle pompeusement "pensée" n'est jamais qu'un acouphène. J'y suis. Je me pardonne."

"Le rapport est à ce point inversé que ma mère devient mon orpheline. Quoiqu'il en soit les représentations de la mater dolorosa sont toujours des hymnes à l'amour. La mère reçoit le corps de son enfant avec d'autant plus d'ivresse que c'est la dernière fois. Elle pourra se recueillir chaque jour sur sa tombe, elle sait que rien ne vaut l'étreinte : oui, même avec un corps mort, tout l'amour du monde ne s'exprime jamais aussi bien que par l'embrassement."

"Si vous aimez vos morts, faites-leur confiance au point d'aimer leur silence."

"Il faut accepter ce mystère : vous ne pouvez pas concevoir ce que les autres voient dans votre visage. Il y a une contrepartie aussi mystérieuse : je me regarde dans le miroir. Ce que je vois dans mon visage, personne ne peut le savoir. Cela s'appelle la solitude. "


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