dimanche 14 janvier 2018

Je n'ai pas toujours été un vieux con d'Alexandre FERRAGA


Un roman très agréable et parfois jubilatoire suite aux déclarations cyniques et acerbes de ce vieux chnock obligé finir des jours dans une maison de retraite. Très attendrissant.

"Chaque chambre porte un nom de fleur. Aux Primevères l'avenir est assuré. Les enfants peuvent continuer d'abandonner leurs géniteurs et la science peut continuer ses progrès car il existe encore un paquet de noms de fleurs et un paquet de chambres à ouvrir. Avec les appellations de fromage ils auraient été peinards aussi."

"Les souvenirs ne suffisent à personne. Ils ne servent même à rien si personne ne les entend. Gardés enfouis, ils alimentent l'incontrôlable nostalgie du bonheur passé. Ils finissent par s'effilocher comme une couverture qui traverse de nombreux hivers." 

"Si les vieux radotent, ce n'est pas pour emmerder leur entourage, c'est pour bien garder à l'esprit tous les bons et mauvais moments qu'ils ont vécus. Pour se rappeler qu'ils ont eu une vie, que l'état de décrépitude dans lequel ils se trouvent ne résume pas leur existence."

"Avant d'arriver ici, je pensais entrer au musée des horreurs. Un version gériatrique de la fin du monde. Avec ballet de croque-morts tous les trois jours et marche funèbre pour danser le samedi soir."

"C'est beau la jeunesse. Au menu, purée de pomme de terre, viande hachée, pain de mie et comporte de poires. De la haute gastronomie infantile."

 "Le temps que tu as traversé est écrit sur ta peau. Tu es vivant aujourd'hui par le temps que tu as vécu hier. Tu peux mentir, changer de visage ou même de nom, tu seras toujours ce que tu as vécu. Si la personne à laquelle tu parles ne t'entend plus ou si tu n'as plus personne à qui parler, alors tu n'existes plus."

"C'est étrange, la mémoire ne retient pas la voix des gens morts. Les visages sont presque indélébiles, les mots sont à peu près justes, la voix, elle, disparaît. C'est toujours notre voix intérieure qui parle pour les autres. Je parle là des gens que l'on a bien connus, parce que pour les autres, il ne reste presque plus rien, ni visage, ni voix, tout juste une vague émotion qui traverse l'esprit. La mémoire est un luxe."

"C'est peut-être cela l'avenir du commerce et de la science. Pouvoir acheter du temps. Le clampin moyen passe son temps à le tuer en remplissant les espaces vides par un tas de saloperies en plastique, chevaux sous la capot ou machines tyranniques. Et puis il se lasse de toutes ces choses qu'il n'arrive plus à ranger. Il se lasse tant qu'il en crève. Un jour viendra où tout aura été acheté et vendu mille fois. Il n'y aura plus rien pour remplir les espaces vides. Il faudra tuer la mort en achetant du temps. Quelle blague. "

"La maladie prend beaucoup. Soit nous acceptons qu'elle prenne tout, soit nous décidons qu'elle n'aura plus la dernière goutte, ce que nous sommes. Roger a une maladie, il n'est pas LA maladie."

"La peur ne remplit pas, elle vide. C'est une sangsue qui boit le peu de lucidité qui nous reste face à un évènement déstabilisant."

"Jack m'aide à enfiler mon pantalon et des chaussettes. J'ai encore des difficultés pour m'habiller. Ma prothèse et moi en sommes encore au vouvoiement."

"Ils ont même inventé des pilules pour que nous bandions encore. Je ne suis pas contre mais il faut avouer que certains débris mériteraient d'être poussés plus rapidement vers la sortie. nous allons bien nous marrer quand cinquante pour cent de la population aura plus de 65 ans. Quand un tiers bavera, le menton collé à la poitrine, le cerveau mité par l'industrie pharmaceutique. Quand les salaires des actifs couvriront à peine le maintien des retraites. Quand les vieux, effrayés par le lendemain, ne dépenseront plus un kopeck, ni en croisières, ni en pilules pour bander. Lorsque les têtes dirigeantes auront les poches vides, ils réfléchiront à deux fois avant de conchier les partisans de l'euthanasie. (...) Pauvres pays riches. Il y a sur cette foutue Terre des gosses qui ne passeront pas leur jeunesse par malnutrition et nous, nous poussons plus loin les limites de la vie. (...) Une guerre opposant des bougres qui essaient de vivre contre une armée qui n'arrive plus à mourir, il y aurait de quoi pisser de rire."

"Je n'ai pas moins vécu sans lire une seule ligne d'une seule oeuvre de monsieur je-ne-sais-qui. Je n'ai pas moins folâtré qu'un autre ni mangé moins d'abricots et de mandarines qu'un foutu rat de bibliothèque."



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